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Les autres Français de la Formule 1 : Jean-Michel Tibi

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Après une année 2020 particulière, la Formule 1 va retrouver deux de ses rendez-vous mythiques avec le Grand Prix de Monaco et le Grand Prix de France. Voici l’occasion de poursuivre notre série de portraits des personnalités tricolores qui travaillent dans la discipline reine du sport automobile. Cette fois-ci, c’est Jean-Michel Tibi, l’homme qui tient la caméra pour la F1, qui s’est prêté au jeu des questions / réponses. En véritable passionné, il nous décrit son quotidien et nous parle des moments marquants qu’il a vécu depuis près de 30 ans.

(c) Wolfgang Wilhelm

Quel est ton rôle au sein de la F1 ?

Je suis cameraman/DOP (directeur de la photographie) de la Formula One Management en Freelance depuis 24 ans.

J’appartiens à un petit département où nous travaillons sur les projets spéciaux, avec les sponsors, les équipes, les VIPs et les différents broadcasters, à réaliser leurs demandes précises et artistiques qu’ils ne peuvent pas faire.

Mon rôle consiste à filmer dans le paddock et tous les garages de F1 avec une camera de cinéma, une Arri Amira, en liaison HF, des images liées à l’émotion, sans contraintes de visibilité de sponsor. Je travaille aussi principalement pour le signal international et aussi pour les « specific features ».

Je filme toujours en slowmotion et essaye de trouver la plupart du temps un angle artistique et inédit pour satisfaire les différentes demandes et surtout, aussi, pour me faire plaisir.

Quel parcours as-tu suivi pour arriver à ce poste ?

Mon parcours commence au début des années 1980. Je souhaitais être photographe mais je ne maitrisais aucun aspect ni technique, ni artistique.

En 1985, je fais mon service militaire au SHAA (service historique de l’armée de l’air) au Château de Vincennes et j’apprends la technique du cadrage, des optiques, du diaphragme, de la profondeur de champ, des différentes pellicules, du tirage sur noir et blanc.

Cela a été une année d’apprentissage gratuite et très constructive qui m’a permis d’imaginer une photo et de la réaliser selon ce que je voulais. Puis j’ai été assistant photographe de mode pendant deux ou trois années. Je me suis tourné vers la vidéo et pendant quelques années je filmais des événements privés ou des conventions.

J’ai rencontré un producteur TV via une amie et je me suis lancé comme cameraman dans le sport auto/moto en 1994 et cela dure depuis.

J’avais commencé en 1992, sur quelques Grands Prix de Formule 1, à bosser pour un sponsor de McLaren et donc avec Ron Dennis et Ayrton Senna entre autres.

(c) DR

Qu’est-ce qui te passionne le plus en F1 ?

La constante dans le sport est que tout est consacré à la performance pure de l’athlète. Dans ce cas précis du sport automobile, une équipe travaille incroyablement dur pour deux voitures avec deux pilotes au talent, à la technique de conduite, aux réglages et aux ambitions différentes !

La vitesse, le bruit, les couleurs, les différents protagonistes aux charmes variés, la pression de la réussite, les médias, la FIA, la FOM…tout le monde « observe » tout le monde et réussir et surtout durer dans cet environnent est une incroyable performance. Je suis un dinosaure ! Tu dois avoir la tête froide et le sang chaud mais ne jamais stresser, c’est la base.

Quel est ta journée type durant un Grand Prix ?

Ma journée commence très tôt vers 7h le matin. Je prend un café, de préférence dans une équipe italienne rouge et seulement à ce moment-là je sors de ma nuit, comme un ours de son hibernation. Je commence à être sociable âpres mon café.

Généralement, je filme l’arrivée des pilotes dans le paddock et mes images sont diffusées sur le signal international mais aussi distribuées à tous les broadcasters. Je filme les FP1, FP2, FP3 et les qualifications dans les garages. Je suis le seul cameraman à travailler avec la totalité des équipes. Les autres cameramen bossent seulement dans deux équipes côte-à-côte, par exemple : Mercedes et Red Bull ou McLaren et Aston Martin…

Je me dois de connaitre tout le monde dans toutes les équipes pour questionner les bonnes personnes et pour avoir les bonnes infos.

Pour la course, je dois surtout connaitre les silhouettes de tout le monde car casqués, masqués et prêt pour les pitstops, je ne vois plus les visages.

Je suis connecté à trois radio dans lesquelles douze personnes me parlent en Anglais et m’alimentent sur des infos en piste et dans les stands.

Je travaille sur la grille également et je capte les moments de concentration, d’angoisse, de respiration, des derniers conseils pour la course entre les pilotes, ingénieurs et mécaniciens.

Au départ de la course, de temps en temps, je vais soit dans la petite cabane du départ, soit dans un garage pour filmer la réaction de l’équipe. Je fais ce que je sens. Pendant la course, je filme les pitstops et la réaction des équipes quand il y a un dépassement, un accident ou un drapeau jaune ou rouge.

Ensuite je filme le drapeau à damier avec la voiture gagnante, le Parc Fermé, le podium et le champagne toujours en slowmotion, toujours à la recherche de l’émotion, en gros plan si possible.

La dernière chose à filmer dans la journée est l’équipe gagnante avec les trophées et les pilotes.

Puis je remballe tout le matériel avec mes collègues. On finit généralement deux heures après la course. Après, soit je rentre à l’hôtel soit, de temps en temps, je reprends l’avion pour rentrer chez moi le soir même.

Ça représente une longue journée qui dure entre 16 et 18 heures. Du coup, quand je suis dans mon lit, je suis cuit. Mais il m’arrive souvent de sortir le soir de la course pour diner et faire la fête avec les pilotes notamment, ce qui aide pour les bonnes relations !

(c) Sam Bagnall

Quel est ton quotidien en dehors des week-ends de GP ?

En dehors de la F1, je filme aussi les différents championnats de Formule E, d’Extreme E, du GT, les Jeux Olympiques, les Coupes du Monde et les Championnats d’Europe de football…

Je bosse aussi sur des émissions de TV en France : talks-shows, musique, émissions politiques…

Je n’ai pas vraiment de weekends à moi. Le reste du temps, je repose mon corps qui en a bien besoin.

Quel est ton meilleur souvenir en F1 ?

J’ai vécu beaucoup de très bons moments dans ma carrière !

J’étais en haut des Combes à Spa en 2000 quand Mika Hakkinen a dépassé sur l’herbe Michael Schumacher et Ricardo Zonta.

J’étais aux esses de Senna, en 2001 à Interlagos, quand Juan Pablo Montoya a « dégagé » Michael Schumacher d’un coup de roue.

J’étais à côté du bac à gravier en Chine en 2007 quand Lewis Hamilton s’est échoué et a perdu dans sa course au titre.

J’étais à Indianapolis en 2005 pendant l’imbroglio des pneus Michelin et la « course » à six voitures.

J’étais au 130R à Suzuka en 2008 quand Allan McNish a crashé sa Toyota a 320km/h.

J’étais là aussi à Budapest en 2009 quand Felipe Masse est mis en « coma médical » suite a la perte d’un élément de suspension qui le percute en pleine tête.

A Bahreïn en 2020, quand la voiture de Romain Grosjean est coupée en deux et prend feu, je suis dans le garage Haas et je capte en direct l’angoisse et l’impuissance de l’équipe à agir.

J’ai beaucoup de chance de me placer souvent aux bons endroits, aux bons moments. Disons que c’est 50 % de chance et 50 % de science de la course.

(c) Mario Renzi

Et le plus mauvais souvenir ?

Évidemment, tous les acteurs de ce sport redoutent la fin fatale. En 2019, je tournais un documentaire sur la F2 et je suivais notamment Anthoine Hubert depuis le début du championnat.

Dès le départ de la course de F2 à Spa, j’étais au premier virage et je filmais les deux derniers passages d’Anthoine (tour de formation et départ). Quel choc d’entendre le speaker annoncer la fin de la course et de voir la voiture médicale partir vers le haut de la montée du virage de l’Eau Rouge et d’entendre le silence sur le circuit. Plus aucun bruit. Le silence complet. C’était assourdissant. Après avoir parlé avec des officiels, j’ai compris qu’Anthoine était décédé instantanément dans l’accident.

A Suzuka en 2014, je bossais pour Canal+ sur la F1. Le ciel était très chargé et bien bas. Il y avait beaucoup de pluie et peu de visibilité. Sur la grille nous interrogeons Jules Bianchi pour savoir si la piste est praticable. Il nous répond : « Oui, c’est chaud mais ça va aller ». Il monte dans sa voiture de course, c’est le départ et quelques tours plus tard intervient une sortie de piste d’Adrian Sutil et Jules sort aussi de la piste et s’encastre dans une grue de levage. Je comprends tout de suite la gravite de l’accident.

J’appelle immédiatement Nicolas Todt en Europe, je suis en pleurs et je pense qu’il comprend ce qu’il se passe ici au Japon.

Je vais à l’hôpital après la course et en parlant à de bonnes sources qui ont accès à Jules on me fait comprendre que ce n’est pas très bien engagé et que Jules doit subir de multiples examens et est mis dans un coma pour reposer la pression crânienne.

Quelques mois plus tard, je serai à Nice pour la messe et l’enterrement de ce jeune garçon qui aurait pu être mon fils, plein de vie, plein de talent, plein de sourires, plein de joie de vivre et d’amour et d’admiration autour de lui.

J’avais fait la fête toute la nuit du Grand Prix de Singapour une semaine avant avec Jules…Je n’oublierais jamais Anthoine et Jules…

(c) Steve Domenjoz

Tu apparais dans le jeu vidéo officiel de la F1, ça fait quoi de se voir ainsi représenté ?

Et bien je ne joue jamais aux jeux vidéos ! Un de mes très bons amis, qui est patron de Codemasters, me propose d’améliorer le réalisme du jeu F1 de concert avec le producteur, le réalisateur et le directeur artistique de la franchise.

Je leur montre quelques points à changer sur les différents aspects du jeu qui était déjà extraordinaire et on me propose d’être le cameraman officiel du jeu ! Bingo ! Je dis oui car j’occupe vraiment cette fonction donc je me sens a l’aise avec cela. Beaucoup de gens me reconnaissent autour du monde et même Lando Norris me l’a rappelé l’autre jour en me disant : « Même quand je suis chez moi, tu es dans ma télé avec une camera pointée sur moi ! »

Arrives-tu à tisser des liens particuliers avec les pilotes ?

Je connais tout le monde et tout le monde me connais. Je respecte tout le monde quelque soit sa position et je traite tout le monde d’égal à égal. La F1 est un milieu d’environ 3 000 personnes travaillant dans une petite superficie.

J’ai travaillé personnellement pour Bernie Ecclestone pendant 20 ans. Le fait de filmer la F2 me permet de connaître les pilotes avant qu’ils accèdent à la F1 et ils me font confiance par rapport à mon métier.

Je sors beaucoup aussi et souvent je dine une fois par semaine durant les Grands Prix avec un pilote ou un membre d’une équipe…moins maintenant avec les strictes restrictions sanitaires liées au Covid-19.

Je communique fréquemment, au téléphone ou par message, avec les pilotes francophones et je parle très souvent avec tous les autres.

(c) DR

Existe-t-il une véritable communauté française dans le paddock ?

Ce sport est international et implique un grand nombre de nationalités différentes. Le talent n’a pas de frontières et peu importe d’où tu viens si tu délivres un excellent travail.

La communauté française se réduit, malheureusement, pour plein de raisons .Mais échanger en langue française avec des passionnés comme moi et plein d’autres est toujours heureux.

Il faut donc être un vrai passionné pour réussir en F1 ?

Après toutes ces années, 29 ans, je garde toujours la même passion, la même envie, le rêve d’imaginer une image et de la réaliser selon mes désirs pour me faire plaisir et partager ces images.

Je recommande à tous de vivre ses rêves, de ne rien lâcher et de s’accomplir pleinement.

(c) Wolfgang Wilhelm

Les autres portraits :

Magali Bernard – chargée des médias au circuit Paul Ricard

Florent Gooden – photographe

Marine Deloffre – responsable de la communication au circuit Paul Ricard

Lionel Froissart – journaliste

Pierre Guyonnet-Dupérat – attaché de presse du GP de France

Julien Simon-Chautemps – ingénieur de piste Alfa Romeo

Greg – créateur et administrateur du site « Au Rupteur »

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