Les autres Français de la Formule 1 : Lionel Froissart

Avec trois pilotes et un Grand Prix national de retour au calendrier, la France s’expose de plus en plus dans le monde de la Formule 1. Mais de nombreuses personnalités tricolores travaillent dans le microcosme de la discipline depuis de longues années. A quelques heures du départ du Grand Prix de France sur le Circuit Paul Ricard, nous avons rencontré le journaliste Lionel Froissart.

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Journaliste français réputé et présent sur les Grands Prix de Formule 1 depuis près de 40 ans, Lionel Froissart est une figure incontournable du paddock. Il a été la plume du sport automobile pour le quotidien Libération et maintenant pour Sport Auto, avec une passion indéfectible pour le sport automobile

Son quotidien de journaliste indépendant qui sillonne le monde pour suivre sa passion, sa relation particulière avec Ayrton Senna, Lionel Froissart nous explique son parcours, nous dévoile quelques anecdotes et nous livre quelques-unes de ses émotions.

Comment devient-on reporter en Formule 1 ?

« Je pense que ce qui marchait il y a 30 ou 35 ans ne marche plus maintenant. J’ai commencé en suivant le karting, en me faisant embaucher à Auto Hebdo alors que je n’avais pas forcément de diplômes, sans prétendre bien entendu à faire des reportages ou des choses de ce genre mais, j’étais dans la place donc j’ai tout fait : coursier, laborantin, de la photo, des montages…bref, tout ce que je pouvais faire. Puis j’ai commencé à proposer des papiers sur le karting parce que j’aimais cette discipline, je m’y intéressais et je trouvais que c’était un peu négligé. Le rédacteur en chef de l’époque, qui était très sympa, me disait : « Tu m’emmerdes avec tes fers à repasser ! », mais je voyais que la plupart des pilotes qui étaient en Formule 1 venaient du karting. Je suivais les compétitions internationales et j’ai donc eu la chance de voir débuter des tas de pilotes qui ont fait de la Formule 1 ensuite, Emmanuelle Pirro, Ivan Capelli, Ayrton Senna bien sûr, Alain Prost, Olivier Panis, Eric Bernard…Ça m’a permis de créer des liens particuliers avec ces pilotes et de les suivre dans leur progression. Ils avaient l’habitude de me voir en karting donc je n’étais pas un inconnu quand plus tard je les ai retrouvé. D’un point de vue professionnel et même privé, c’était sympa car on avait des rapports un peu privilégiés.

Je préparai donc les articles et je faisais également les photos, j’aimais bien ça. J’ai continué chez Auto Hebdo à écrire sur la Formule Renault et toutes les autres compétitions automobiles sur circuit. Puis, en aout 1985, j’ai proposé mon premier article à Libération, qui parlait de la première caméra embarquée en Formule 1, au Grand Prix d’Allemagne au Nurburgring. François Hesnault avait été engagé sur une troisième Renault et il a été le premier à rouler en Grand Prix avec une image en direct, relayée par un hélicoptère, très différent de ce qu’il se passe aujourd’hui. »

Comment avez-vous intégré la rédaction du quotidien Libération ?

« En fait, j’avais envie de m’essayer à la radio et Libération devait créer la sienne. On était en pleine période des radios libres. Malheureusement la radio ne s’est jamais créée mais j’avais néanmoins des contacts avec Jean-Pierre Delacroix qui était le patron des sports, il aimait bien la Formule 1, j’ai commencé à lui proposer des articles et tout est parti de là. J’ai commencé à suivre la F1 à plein temps pour Libération à partir de 1986 jusqu’en 2015. »

Pourquoi la Formule 1 vous passionne-t-elle autant ?

« C’est très difficile d’en trouver la genèse exacte. Je viens d’une famille modeste où il n’y avait pas de belles voitures, aucune culture du sport automobile donc je ne sais pas vraiment d’où ça vient. Mais je me souviens très bien d’avoir entendu à la radio en avril 1968 la mort de Jim Clark, je savais que c’était un pilote. Mais à ce moment, la Formule 1 ne me parlait pas plus que ça. Pour moi, c’était juste de la course automobile. Je me souviens également, étant en Normandie chez mes grands-parents, avoir vu un sujet à la télévision, aux informations régionales, qui parlait des essais d’une course automobile à Rouen. Je dis bien course automobile car je ne faisais pas encore la distinction entre la Formule 1 et les autres catégories. Ils ont montré ce reportage car Jackie Oliver avait eu un accident, sans gravité pour lui, mais il avait détruit sa voiture. J’avais alors demandé à mon grand-père d’aller voir la course le lendemain. Il a accepté mais à la seule condition qu’il ne pleuve pas. Le lendemain, j’étais debout à 6h du matin, il faisait gris mais ne pleuvait pas et on est partis en car vers les Essarts, à une quinzaine de kilomètres de Rouen. Il s’est mis à pleuvoir sur le chemin, mais nous étions déjà partis. Je me souviens de ma première image d’une voiture de course qui passe au loin, une gerbe d’eau, des ailerons, des champs et des vaches – on est en Normandie, et un bruit incroyable. Nous nous sommes installés au virage en épingle du Nouveau Monde, pour toute la journée où nous avons vu toutes les catégories de l’époque jusqu’à la course de Formule 1 le soir vers 17h. Nous étions remontés vers la sortie au niveau du virage des Six Frères et au bout de trois tours est survenu l’accident de Jo Schlesser. Je me souviens très bien de cet accident car j’étais vraiment à 200 mètres de l’action, je pouvais sentir la chaleur du feu et j’ai très bien vu la voiture glisser, monter sur le talus, se retourner et exploser, les cris de la foule, les voitures qui passent au milieu du feu, qui écartent le feu…j’ai eu peur et j’ai demandé à mon grand-père de partir, je n’ai donc pas vu la fin de la course. Mais ça a renforcé ma passion parce que dans mon imaginaire d’enfant, je voyais des chevaliers braver la mort. Depuis, j’ai toujours aimé ça, sans vouloir cependant piloter moi-même. »

Quelle est votre journée type durant un Grand Prix de Formule 1 ?

« J’essaye de venir assez tôt le matin, je parle avec pas mal de monde dans le paddock pour réunir pleins de petites infos et ça se nourrit au fil de la journée. Avec un peu de chance on tombe sur quelqu’un qui vous raconte une anecdote, ça peut faire une petite coulisse, une brève. J’essaye de mélanger l’écriture et le terrain. Forcément à un moment dans le week-end je vais au bord de la piste, souvent le samedi où les pilotes sont le plus proches de la performance absolue et le dimanche je vais au premier virage s’il y a un grand écran pour suivre la première moitié de la course…sauf s’il pleut ! »

Comment ont évolué les médias en Formule 1 ?

« De nos jours, il y a beaucoup plus de médias. Les pilotes sont de plus en plus sollicités donc je comprends très bien qu’ils n’aient pas le temps de passer leur journée avec les journalistes. Mais c’est bon signe, ça prouve qu’il y a de plus en plus de médias qui s’intéressent à ce sport. Ça ne sert à rien de dire « c’était mieux avant », les choses évoluent. Avant il n’y avait que trois journaux, une télé et deux radios, aujourd’hui il y a des dizaines et des dizaines de journalistes. »

Si vous deviez garder un souvenir de votre présence en Formule 1 ?

« Mes souvenirs sont forcément beaucoup liés à Ayrton Senna. Son premier titre en 1988 au Japon était très fort sur le plan émotionnel. Quand je suis rentré dans la salle pour la conférence de presse, Senna était là et il a dit aux quelques techniciens de télévision présents, qui s’en foutaient sûrement un peu : « Ah, ce mec-là me suit depuis le karting » en me désignant. Je l’ai félicité évidemment et c’était un moment fort. C’est un petit souvenir personnel mais au-delà de ça, je savais à quel point, pour lui, être champion du monde de Formule 1 était un truc de dingue. En plus c’était au Japon, il avait de très bons rapports avec Honda. Mais j’ai beaucoup d’autres souvenirs, ça fait 40 ans que je suis dans le sport automobile. Les courses de karting m’ont beaucoup marquées aussi. Je pense que je n’ai rien vu de plus beau sur quatre roues en termes de compétition et d’intensité.

Il y a aussi des mauvais souvenirs en Formule 1, comme par exemple le 1er mai 1994. A l’époque, je commentais en direct les Grands Prix pour Canal Horizon, qui était la branche Canal + pour l’Afrique francophone et dès que j’ai vu l’accident de Senna, la voiture s’arrêter et sa tête bouger un tout petit peu, j’ai compris que c’était fini. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai ressenti ça. J’étais à côté de la cabine de commentaire des Brésiliens où j’allais de temps en temps, il y avait son frère, Léonardo, qui essayait d’avoir des nouvelles. On parlait d’un bras cassé mais moi j’étais sûr que c’était très grave, fatal. C’est évidemment un moment…incroyable. »

Comment s’est développée votre amitié avec Ayrton Senna ?

« Je l’ai connu dès sa première course en Europe lors des championnats du monde de karting au Mans. Je faisais pas mal de photo et il aimait bien en avoir quelques-unes pour distribuer à ses sponsors au Brésil donc je lui donnais des tirages. Je ne l’ai pas trop suivi en Formule Ford ensuite mais suis allé le voir au Formule Ford Festival à Brands Hatch mais c’était le moment où il avait décidé de rentrer au Brésil. Puis ma première saison complète de Formule 1 était en 1984, ce qui correspondait à sa première lui aussi. »

Est-ce que depuis vous avez croisé un pilote qui vous rappelle Ayrton Senna dans son approche, son pilotage ou ses émotions ?

« Non. Il y a des pilotes que j’ai bien aimé, mais… J’aime beaucoup Lewis Hamilton. Pas parce qu’il me rappelle Senna car on ne peut pas les comparer. Mais par exemple, j’ai donné des photos de Senna en kart à Hamilton à l’époque où il courrait en GP2. Il était ravi de les avoir, m’a avoué qu’il les avait mise sur les murs de sa chambre et ça a créé un petit lien entre nous, mais rien à voir avec Senna. Cependant Hamilton reste quand même celui qui m’a procuré le plus d’émotions depuis Senna de par son implication, son coté très volontaire dans l’attaque. On sent que c’est quelqu’un de sensible, qui parait fort mais qui a de grosses faiblesses. J’ai détesté la période Michael Schumacher par exemple. Déjà que je n’aime pas trop Ferrari, il faisait tout pour lui, il était seul. Mais à chaque fois qu’il a eu un adversaire à sa hauteur il n’a pas gagné…c’est un grand pilote mais sans émotions, il ne savait pas transmettre ses émotions. J’ai aimé ce qu’on fait certains comme Juan Pablo Montoya, Mika Hakkinen ou Fernando Alonso, tous ceux qui ont embêtés Michael Schumacher parce que ça apportait quelque chose dans cette monotonie. Je n’ai pas aimé Jacques Villeneuve par contre parce que j’ai trouvé qu’il n’apportait rien en terme d’émotion, par rapport à son père en plus…tout ça était un peu fabriqué. J’aime beaucoup la nouvelle génération comme Max Verstappen, Pierre Gasly, Esteban Ocon et Charles Leclerc qui ont vraiment un très très haut niveau et c’est génial de voir des jeunes pilotes aussi forts. On m’a souvent reproché, à tort, de ne pas aimer les Français, mais c’est la personnalité du pilote qui m’intéresse. Il peut venir de la planète Mars, s’il a une personnalité intéressante, un petit quelque chose en plus et du charisme, c’est intéressant. Par exemple, je n’aime pas Romain Grosjean, il le sait. Il n’est pas très passionnant. Je reconnais cependant que c’est un garçon très rapide, il a forcément de lacunes mais intrinsèquement, il va vite. »

Vous avez donc plus la passion des pilotes que des voitures et de la mécanique ?

« Bizarrement, les voitures ne m’intéressent pas. Tant qu’elles ne bougent pas, elles me laissent totalement indifférent. Je ne suis pas sensible à la mécanique. Je ne suis pas passionné par les voitures. Ce qui m’intéresse, ce sont les pilotes et la compétition parce que ce sont eux qui font l’histoire de la course. »

Comment fait-on, en tant que journaliste, pour gagner la confiance des pilotes ?

« Est ce qu’on cherche vraiment à avoir leur confiance ? Déjà, quand on a la chance d’écrire pour un magazine, on est moins dans l’urgence et l’obligation d’écrire sans arrêt. Il faut essayer d’être le plus juste possible, de ne pas les trahir, ne pas écrire dans le seconde des informations qu’ils nous donnent et qu’ils nous disent de garder pour nous. Mais le rapport de confiance dépend aussi du degré de passion qu’on a pour ce sport. Je ne me fais pas d’illusion, je n’ai pas d’amis parmi les pilotes aujourd’hui. J’ai de très bonnes relations avec la plus part, des relations professionnelles, parfois des relations…amicales serait peut-être un peu trop fort mais de bonnes relations, notamment avec les pilotes Français, sauf celui évoqué plus haut, qui est plutôt Suisse. Mais la relation professionnelle reste assez facile car ils ont des obligations de communication. Avant, on pouvait côtoyer les pilotes en dehors des courses, faire du tennis avec Alain Prost, jouer aux cartes, mais maintenant c’est vraiment dans le cadre de leur travail. »

Vous êtes également passionné de boxe, trouvez-vous des similitudes avec le sport automobile ?

« Pour Libération, j’ai suivi le sport automobile, essentiellement la Formule 1 et les 24 heures du Mans, le ski et la boxe. Ce qui caractérise ces trois sports c’est la notion de danger, des hommes et des femmes qui mettent leur vie dans la balance. Non pas que je sois attiré par le morbide mais cette notion d’affronter le danger me plait beaucoup. Tous ceux qui montent sur le ring, même Mike Tyson à l’époque, ont la trouille et ont conscience du danger. Comme les pilotes. Ils n’ont pas peur de monter dans leur voiture mais ils savent que le risque existe et ils l’acceptent. »

La Formule 1 revient au Circuit Paul Ricard, vous avez de nombreux souvenirs liés à ce lieu ?

« Je suis venu la première fois au Paul Ricard en stop en 1975, j’ai dormi dans la garrigue et le dimanche je me suis mis dans les S de la Verrerie, sur un panneau publicitaire à 8h du matin. Je me souviens même qu’un journaliste, Charles-Bernard Adreani, que j’ai rencontré complètement par hasard, m’avait donné un macaron pour accéder au paddock. C’était moins compliqué qu’aujourd’hui. Je me souviens d’avoir vu une Lotus, celle de Ickx ou Peterson, sortir des stands en premier pour le Warm Up et du bruit du vent avant que le monoplace ne passe devant moi. Quand je suis reparti le soir, toujours en stop, une R16 TX s’arrête pour me prendre. Je monte à la place du passager et là je me rends compte que le conducteur est une conductrice : Lella Lombardi, qui venait de participer au Grand Prix. C’était vraiment incroyable ! »

2 réflexions sur “Les autres Français de la Formule 1 : Lionel Froissart

  1. Pingback: Lionel Froissart nous éclaire sur la saison 2021 de Formule 1 | HORSPISTESF1

  2. Pingback: Les autres Français de la Formule 1 : Jean-Michel Tibi | HORSPISTESF1

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